La science du Hadith chez les Chiites Imamites : Conséquences de l’introduction du ‘Ilm al-Dirayah (7/15)

6) Conséquences de l’introduction de la Science du Hadith

L’application stricte des règles de la Science du Hadith nouvellement introduites aurait frappé de nullité la quasi-totalité des récits Chiites Imamites, il fallait donc « adapter » ce cadre pour qu’il puisse entrer en accord avec les croyances et le référentiel du groupe Chiite. On aboutit donc à un système totalement contradictoire et incohérent. Al-Faydh al-Kachânî décrit l’inextricabilité de la  situation et le malaise :

فإن في الجرح والتعديل وشرائطه اختلافات وتناقضات واشتباهات لا تكاد ترتفع بما تطمئن إليه النفوس كما لا يخفى على الخبير بها
« Il y a dans [la science Imamite] de la critique et de l’agrément (al-Jarh wa al-Ta’dil) et ses conditions, des différences, des contradictions et des ambiguïtés qui ne peuvent être enlevées de telle sorte que les gens puissent avoir la tranquillité d’esprit, et ceci est bien connu de l’expert1. »

Le résultat de l’application de la Science du Hadith sur les récits Chiites Imamites, si elle avait été appliquée rigoureusement, aurait pour conséquences directes d’une part le rejet de tous les récits Chiites Imamites, et d’autre part de considérer que l’ensemble de la secte (Chiite Imamite) était dans l’erreur et le fourvoiement à l’époque des Imams !

C’est ce qu’affirment clairement les savants Chiites Imamites, al-Hurr al-Amilî par exemple, l’écrit explicitement :

الاصطلاح الجديد يستلزم تخطئه جميع الطائفة المحققة في زمن الأئمة عليهم السلام ، وفي زمن الغيبة كما ذكره المحقق في أصوله
« La nouvelle terminologie implique que l’ensemble du groupe (Imamite), aussi bien à l’époque des Imams qu’à l’époque de l’occultation (du Mahdi), étaient dans l’erreur, comme cela a été cité par al-Muhaqqiq (al-Hillî) dans ses fondements (son ouvrage « Les fondements »).2« 

Quant au rejet de tous les récits Chiites Imamites, suite à l’application de ces nouvelles règles, c’est la conséquence directe de la définition même du Hadith authentique chez les Chiites Imamites. En effet, la définition du Hadith authentique pour les Chiites Imamites s’exprime ainsi :

ما اتصل سنده إلى المعصوم بنقل العدل الضابط عن مثله في جميع الطبقات
« [Un hadith authentique est] un hadith dont la chaîne de transmission est ininterrompue et remonte jusqu’à l’[Imam] Infaillible, en étant composée de rapporteurs droits (‘Adl), précis (Dhâbit) à tous les niveaux [de la chaîne de transmission].3« 

Mais voilà, le problème c’est qu’aucun de leurs premiers savants (al-Mutaqaddimun) n’a fait mention de la droiture d’un rapporteur. Pire que cela, ils ne donnaient aucune importance ni considération a cette notion. Résultat : aucun rapporteur n’a fait l’objet d’un jugement ou avis quant à sa droiture par les anciens savants. Et pourtant comme la définition l’indique, la droiture est une condition fondamentale du hadith authentique.

Le savantissime al-Majlissî écrit :

ثم اعلم أن المتأخرين من علمائنا اعتبروا في العدالة الملكة ، وهي صفة راسخة في النفس تبعث على ملازمة التقوى والمروة ، ولم أجدها في النصوص ، ولا في كلام من تقدم على العلامة من علمائنا ، ولا وجه لاعتبارها
« Et sache que les contemporains parmi nos savants ont établi que la droiture est une qualité, une caractéristique fermement établie chez l’individu et qui le pousse à rechercher la piété et la moralité [dans ses œuvres]. Et je n’ai trouvé nul texte à ce sujet [sur la notion de droiture] et nul propos de nos savants parmi ceux qui ont précédés alAllamah (Ibn Mutahar al-Hillî) et ils ne lui ont accordé aucune considération.4« 

Al-Hur al-‘Amilî confirme les propos d’al-Majlissî, il écrit :

 لم ينصوا على عدالة أحد من الرواة، إلا نادرا، وإنما نصوا على التوثيق، وهو لا يستلزم العدالة قطعا بل بينهما عموم من وجه، كما صرح به الشهيد الثاني وغيره
« Or, [les spécialistes] n’ont établi la droiture (‘Adâla) d’aucun rapporteur, sauf dans des cas rares,  ne se prononçant uniquement que sur la fiabilité (Tawthîq), laquelle n’implique en aucun cas la droiture, bien au contraire, puisqu’il y a entre les deux des points de divergence comme l’a attesté al-Chahîd al-Thânî et d’autres.5« 

Face à ce constant accablant, al-Hurr al-‘Âmili fait part des conséquences : L’application de la Science du Hadith sur les récits Chiites implique automatiquement le rejet de tous ces récits !

Il écrit en effet :

فيلزم من ذلك ضعف جميع أحاديثنا لعدم العلم بعدالة أحد منهم إلا نادرا
« Et par conséquent, il s’ensuivrait [de tout cela] que nous devrions affaiblir [classer comme faible, da’îf] tous nos Hadiths, du fait que l’on n’a que rarement connaissance de la droiture de l’un d’entre eux [rapporteurs Imamites].6« 

Yûssuf al-Bahrânî quant à lui, fait  le triste avoeu suivant :

والواجب إما الأخذ بهذه الأخبار – كما هو عليه متقدمو علمائنا الأبرار – أو تحصيل دين غير هذا الدين وشريعة أخرى غير هذه الشريعة لنقصانها وعدم تمامها لعدم الدليل على جملة من أحكامها
« Et de deux choses l’une, soit nous prenons tous ces récits [en les considérant fiables] comme l’ont fait les prédécesseurs parmi nos savants, soit nous prenons une religion (Din) autre que celle-ci [Le Chiisme Imamite] et une Voie (Chari’âh) autre que celle-ci, cela en raison de sa déficience et de son incomplétude, ainsi que de l’absence de preuves sur un ensemble de ses règles juridiques (Ahkâm).7« 

Des savants Chiites Imamites postérieurs (al-Muta’akh-khirun) ont essayé de masquer cette forfaiture en expliquant que le terme fiable désignait à la fois la droiture et la précision (al-Dhâbt). Alors que dans le même temps, ces même savants et les anciens savants (alMutaqaddimûn) n’hésitaient pas à déclarer des rapporteurs comme fiables tout en sachant qu’ils étaient pervers et mécréants ! Des caractéristiques en totale opposition à la notion de droiture !

Al-Hurr al-’Amilî pointe cette incohérence flagrante et déclare :

ودعوى بعض المتأخرين: أن الثقة بمعنى العدل، الضابط  ممنوعة، وهو مطالب بدليلها. وكيف ؟ وهم مصرحون بخلافها حيث يوثقون من يعتقدون فسقه، وكفره وفساد مذهبه
« Et la prétention de certains contemporains sur le fait que « Fiable » (Thiqa) signifierait « Droit » (‘Adl) et « Précis »[dans ce qu’il rapporte] (Dhâbit) est irrecevable et il leur incombe d’en fournir la preuve. Comment donc, alors qu’ils disent explicitement le contraire, puisqu’ils jugent [parfois] fiable quelqu’un tout en connaissant sa perversité, sa mécréance et l’hérésie de son école/ses avis.8« 

Al-Wahîd al-Bahbahânî fait le constat que pas même un centième du Fiqh Imamite ne repose sur des récits authentiques ! Pire encore, les rares hadiths authentiques existants sont contradictoires et présentent de nombreuses déficiences. Il écrit :

لا شبهة في أن عشر معشار الفقه لم يرد فيه حديث صحيح ، و القدر الذي ورد فيه الصحيح لا يخلو ذلك الصحيح من اختلالات كثيرة بحسب السند ، وبحسب المتن ، وبحسب الدلالة ، ومن جهة التعارض بينه وبين الصحيح الاخر ، أو القرآن ، أو الاجماع ، أو غيرهما
« Il ne fait aucun doute que le dixième du dixième (un centième) du Fiqh ne se base sur un hadith authentique9, et [même] le taux du Fiqh qui se baserait sur un hadith authentique ne serait pas épargné par les nombreuses déficiences : sur l’Isnad (la chaîne), sur le Matn (le texte), sur le sens, du point de vue de la contradiction vis-à -vis d’autres Hadiths authentiques ou du Coran ou du consensus (alIjma‘) ou d’autres encore.10« 

  1. Al-Wâfî d’al-Faydh al-Kachânî Vol.1 page 25
  2. Wassâ’il al-Chi’a d’al-Hur al-Amilî, vol. 30 page 259
  3.  Al-Dirâyah d’al-Chahîd al-Thâni, page 19
  4. Bihâr al-Anwâr d’al-Majlissî vol. 85 page 32
  5. Wassâ’il al-Chi’a d’al-Hur al-Amilî, vol. 30 page 260
  6. Wassâ’il al-Chi’a d’al-Hur al-Amilî, vol. 30 page 260
  7. Lu’lu’a al-Bahrain  de Yûssuf al-Bahrânî, page 82
  8. Wassâ’il al-Chi’a d’al-Hur al-Amilî, vol. 30 page 260
  9. Ce que veut dire l’auteur ici, c’est qu’il ne se trouve même pas un centième du Fiqh Chiite Imamite qui ne se base entièrement sur un hadith authentique ! En d’autres termes, plus de 99% du Fiqh Chiite Imamite se base sur des récits au moins faibles (faibles, inventés…) !
  10. Al-fawâ’id al-Hâ’iriya, al-Wahîd al-Bahbahânî, page 488

Laisser un commentaire